Salut,
je suis très triste cette nuit. Je suis rentrée il y a un peu plus d'une heure, et j'ai appris alors que Jean Ferrat était décédé hier.
Jean Ferrat, c'est une part majeure de mon enfance, de ma vie, au même titre que peuvent l'être les Beatles ou Jean-Jacques Goldman. Mes parents l'écoutaient beaucoup, comme tout-e coco qui se respecte. Gamine, je chantais certaines de ses chansons par coeur - "Le Singe", "Le Fantôme De La Télévision", "Je Meurs", "Nuit Et Brouillard"... - le plus souvent sans vraiment comprendre les paroles. Ca faisait beaucoup rire mes parents :
"C'est fou ce que je m'acclimate
Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
En bon état de conservation"
ou bien
"Mon marmouset, mon nouveau né
Tu mériterais qu'on te gronde
Tu brailles comme un forcené
T'as pas l'air content d'être au monde
T'as le minois tout chiffonné
Pourtant, tu devrais rire aux anges
Avec ton lange enfariné
Pour engraisser Monsieur Morhange
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot"
J'aimais sa voix chaude, ses arrangements, il ressemblait tant à mon (beau-)père. Ferrat, c'est une affaire de famille. Mon père adorait Brassens, et comme souvent celui-ci était associé à Brel (comme les Rolling Stones vs les Beatles), j'ai pu écouter les deux dès mon plus jeune âge. Et j'ai toujours préféré Brel en raison des orchestrations. J'aime les instruments, j'aime leur mise en valeur. Et Ferrat, c'est extrêmement orchestré, avec des arrangements très variés. C'est aussi pour cela que je préfère les premiers albums de Gainsbourg aux plus récents. Oh, j'apprécie énormément Brassens aujourd'hui, et j'ai été étonnée à 20 ans quand j'ai enregistré son intégrale sur cassette de constater que je le connaissais bien plus que je l'imaginais : mon père l'avait tellement écouté. Brassens à qui Ferrat a rendu hommage dès 1963 sur l'album "Nuit Et Brouillard", qui est sans doute l'album que j'ai le plus entendu. Mais dans sa version remaniée.
Car pour des raisons que je ne connais pas bien, des histoires de droit sans doute, Ferrat a réenregistré tous les titres (enfin presque tous) de son répertoire des années Barclay dans sa nouvelle maison de disque, Temey, avec des arrangements de... euh... je vais éviter les qualificatifs, parce que je t'aime, Jean. Je me suis rendue compte de cela quand j'ai commencé à réacheter tous les albums de Ferrat en CD. J'avais emprunté une des rééditions Temey à la discothèque de mon comité d'entreprise et j'ai entendu une version "arg" de "Pauvres Petits C...", extrêmement différente de celle issue d'une compilation que possédait mes parents, avec un superbe arrangement de cordes qui, dans cette version-là, avait totalement disparu. J'ai alors réalisé qu'il existait des versions différentes, et que j'avais acheté les "mauvaises" éditions. J'ai laissé tomber momentanément (comme je l'avais fait jadis pour Béranger, quand je n'arrivais pas à trouver ses albums en CD).
Mon ex ne jurait que par les vinyles, du moins quand nous nous sommes rencontré-es. Je les avais un peu délaissés, et je me suis tournée de nouveau vers eux. C'est ainsi que j'ai acheté plusieurs albums de Ferrat sur ce format : j'avais ainsi les enregistrements originaux ! Et un jour, en me baladant sur Amazon, j'ai vu qu'un coffret regroupant tous les enregistrements Barclay - des débuts à 1972 - était paru : je me suis ruée dessus, et j'ai petit à petit complété ma collection en achetant les albums les plus récents. Je crois que je les ai à peu près tous désormais (sauf toutes les rééditions Temey), même si je suis loin de tout connaître par coeur.
J'avais toujours cru que Ferrat s'était engagé sur le tard. Car des gens m'avaient parlé de sa mise en musique des textes d'Aragon, mais regrettaient qu'il se soit ensuite égaré avec des chansons engagées. Mais j'ai découvert en acquérant tous ses disques que Ferrat était un militant dès le début, un "pur" comme j'ai lu ce soir dans les hommages qui lui ont été rendus (Mireille Matthieu, je crois...). Un type qui n'a jamais dévié d'un iota, mais qui savait critiquer quand il le fallait, qui n'avait pas d'oeillères. Cela force mon admiration. J'ai également entendu pour la première fois de véritables pépites que mes parents ne possédaient pas chez nous. "Ma Môme", véritable chanson sociale et populaire. "Ma France", sans aucun doute ma chanson préférée de son très large répertoire. J'ai déniché des arrangements bien dans leur époque, j'ai cru parfois entendre du Gainsbourg de la première heure. J'y ai même trouvé une chanson qui dénigre Paris, ville pourtant généralement tant célébrée.
Et puis, j'ai redécouvert une partie de son répertoire, prêté plus attention à nombre de paroles. Par exemple, quand j'étais mioche, j'étais persuadée, en raison d'un a priori fatalement stupide, que "Pauvre Boris" parlait d'un paysan, vu le titre et ce que cela m'évoquait, et cela ne m'avait alors pas donné envie de l'entendre (que l'on me pardonne....). Et en fait, j'ai su qu'il parlait de Boris Vian, et de quelle manière ! Et avec une superbe partie de trompette, pour ne rien gâcher.
Ferrat, c'était aussi un féministe (sauf peut-être en tout début de carrière), une défenseur des opprimé-es, quel-les qu'ils / elles soient, et des gouines et des pédés également. Même s'il n'y a pas spécifiquement de chanson dédiée aux LGBT, ses chansons y plusieurs fois fait allusion :
Le Bruit Des Bottes
"A moins qu'ils me ratatinent
Pour mon immoralité
Pour avoir baisé Delphine
Pour avoir été pédé
A moins qu'ils ne me condamnent
A mourir écartelé
Entre l'amour de Roxane
Et celui du beau Dédé"
Vipères Lubriques
"Si je disais qu'en plus de ça
Les pédés ne me gênent pas
Que je n'ai rien contre les gouines
Que sont nos deux jolies voisines
Si j'ajoutais qu'il nous arrive
De faire la fête avec des Juives
Et de danser jusqu'au matin
Chez des amis nord-africains"
Enfin, bref, j'aurais tant à dire sur Ferrat. Depuis plusieurs jours, j'écoutais sans cesse Jean Guidoni, superbe interprète dont je suis en train d'acquérir la plupart des albums. Mais cette nuit, j'ai fait une trêve, je me repasse mes albums de Ferrat, les larmes aux yeux. J'aurais tellement aimé le voir sur scène, tellement aimé le revoir chez Pivot ou Drucker encore une fois. Tellement aimé le croiser. J'ai été terriblement envieuse de Besancenot quand j'ai vu que Ferrat lui avait écrit un petit mot pour "Vivement Dimanche". Avoir la reconnaissance d'un type pareil, ça a de la gueule.
Je lisais quelqu'un dire qu'il perdait un deuxième père. Et c'est ce que je me disais il y a quelques semaines encore : quand Ferrat mourra, je perdrai une nouvelle fois Jojo. Parce que si Jojo adorait Brassens de prime abord, Ferrat, c'était mon lien le plus fort à Jojo. Comme je le disais plus haut, alors qu'il était en train de s'endormir tout doucement, je passais alternativement un album de Ferrat et un de chansons de Brassens réinterprétées façon jazz. Après ça, j'ai mis près d'un an avant de pouvoir être capable de réécouter le grand Jean. Mais désormais, il fait partie intégrante de ma vie.
Ah, c'est vraiment une sale nouvelle. Quelle période de merde.
Ariane
je suis très triste cette nuit. Je suis rentrée il y a un peu plus d'une heure, et j'ai appris alors que Jean Ferrat était décédé hier.
Jean Ferrat, c'est une part majeure de mon enfance, de ma vie, au même titre que peuvent l'être les Beatles ou Jean-Jacques Goldman. Mes parents l'écoutaient beaucoup, comme tout-e coco qui se respecte. Gamine, je chantais certaines de ses chansons par coeur - "Le Singe", "Le Fantôme De La Télévision", "Je Meurs", "Nuit Et Brouillard"... - le plus souvent sans vraiment comprendre les paroles. Ca faisait beaucoup rire mes parents :
"C'est fou ce que je m'acclimate
Au jardin d'acclimatation
Où l'on conserve les primates
En bon état de conservation"
ou bien
"Mon marmouset, mon nouveau né
Tu mériterais qu'on te gronde
Tu brailles comme un forcené
T'as pas l'air content d'être au monde
T'as le minois tout chiffonné
Pourtant, tu devrais rire aux anges
Avec ton lange enfariné
Pour engraisser Monsieur Morhange
Fais dodo Colas mon petit frère
Fais dodo mon petit loupiot"
J'aimais sa voix chaude, ses arrangements, il ressemblait tant à mon (beau-)père. Ferrat, c'est une affaire de famille. Mon père adorait Brassens, et comme souvent celui-ci était associé à Brel (comme les Rolling Stones vs les Beatles), j'ai pu écouter les deux dès mon plus jeune âge. Et j'ai toujours préféré Brel en raison des orchestrations. J'aime les instruments, j'aime leur mise en valeur. Et Ferrat, c'est extrêmement orchestré, avec des arrangements très variés. C'est aussi pour cela que je préfère les premiers albums de Gainsbourg aux plus récents. Oh, j'apprécie énormément Brassens aujourd'hui, et j'ai été étonnée à 20 ans quand j'ai enregistré son intégrale sur cassette de constater que je le connaissais bien plus que je l'imaginais : mon père l'avait tellement écouté. Brassens à qui Ferrat a rendu hommage dès 1963 sur l'album "Nuit Et Brouillard", qui est sans doute l'album que j'ai le plus entendu. Mais dans sa version remaniée.
Car pour des raisons que je ne connais pas bien, des histoires de droit sans doute, Ferrat a réenregistré tous les titres (enfin presque tous) de son répertoire des années Barclay dans sa nouvelle maison de disque, Temey, avec des arrangements de... euh... je vais éviter les qualificatifs, parce que je t'aime, Jean. Je me suis rendue compte de cela quand j'ai commencé à réacheter tous les albums de Ferrat en CD. J'avais emprunté une des rééditions Temey à la discothèque de mon comité d'entreprise et j'ai entendu une version "arg" de "Pauvres Petits C...", extrêmement différente de celle issue d'une compilation que possédait mes parents, avec un superbe arrangement de cordes qui, dans cette version-là, avait totalement disparu. J'ai alors réalisé qu'il existait des versions différentes, et que j'avais acheté les "mauvaises" éditions. J'ai laissé tomber momentanément (comme je l'avais fait jadis pour Béranger, quand je n'arrivais pas à trouver ses albums en CD).
Mon ex ne jurait que par les vinyles, du moins quand nous nous sommes rencontré-es. Je les avais un peu délaissés, et je me suis tournée de nouveau vers eux. C'est ainsi que j'ai acheté plusieurs albums de Ferrat sur ce format : j'avais ainsi les enregistrements originaux ! Et un jour, en me baladant sur Amazon, j'ai vu qu'un coffret regroupant tous les enregistrements Barclay - des débuts à 1972 - était paru : je me suis ruée dessus, et j'ai petit à petit complété ma collection en achetant les albums les plus récents. Je crois que je les ai à peu près tous désormais (sauf toutes les rééditions Temey), même si je suis loin de tout connaître par coeur.
J'avais toujours cru que Ferrat s'était engagé sur le tard. Car des gens m'avaient parlé de sa mise en musique des textes d'Aragon, mais regrettaient qu'il se soit ensuite égaré avec des chansons engagées. Mais j'ai découvert en acquérant tous ses disques que Ferrat était un militant dès le début, un "pur" comme j'ai lu ce soir dans les hommages qui lui ont été rendus (Mireille Matthieu, je crois...). Un type qui n'a jamais dévié d'un iota, mais qui savait critiquer quand il le fallait, qui n'avait pas d'oeillères. Cela force mon admiration. J'ai également entendu pour la première fois de véritables pépites que mes parents ne possédaient pas chez nous. "Ma Môme", véritable chanson sociale et populaire. "Ma France", sans aucun doute ma chanson préférée de son très large répertoire. J'ai déniché des arrangements bien dans leur époque, j'ai cru parfois entendre du Gainsbourg de la première heure. J'y ai même trouvé une chanson qui dénigre Paris, ville pourtant généralement tant célébrée.
Et puis, j'ai redécouvert une partie de son répertoire, prêté plus attention à nombre de paroles. Par exemple, quand j'étais mioche, j'étais persuadée, en raison d'un a priori fatalement stupide, que "Pauvre Boris" parlait d'un paysan, vu le titre et ce que cela m'évoquait, et cela ne m'avait alors pas donné envie de l'entendre (que l'on me pardonne....). Et en fait, j'ai su qu'il parlait de Boris Vian, et de quelle manière ! Et avec une superbe partie de trompette, pour ne rien gâcher.
Ferrat, c'était aussi un féministe (sauf peut-être en tout début de carrière), une défenseur des opprimé-es, quel-les qu'ils / elles soient, et des gouines et des pédés également. Même s'il n'y a pas spécifiquement de chanson dédiée aux LGBT, ses chansons y plusieurs fois fait allusion :
Le Bruit Des Bottes
"A moins qu'ils me ratatinent
Pour mon immoralité
Pour avoir baisé Delphine
Pour avoir été pédé
A moins qu'ils ne me condamnent
A mourir écartelé
Entre l'amour de Roxane
Et celui du beau Dédé"
Vipères Lubriques
"Si je disais qu'en plus de ça
Les pédés ne me gênent pas
Que je n'ai rien contre les gouines
Que sont nos deux jolies voisines
Si j'ajoutais qu'il nous arrive
De faire la fête avec des Juives
Et de danser jusqu'au matin
Chez des amis nord-africains"
Enfin, bref, j'aurais tant à dire sur Ferrat. Depuis plusieurs jours, j'écoutais sans cesse Jean Guidoni, superbe interprète dont je suis en train d'acquérir la plupart des albums. Mais cette nuit, j'ai fait une trêve, je me repasse mes albums de Ferrat, les larmes aux yeux. J'aurais tellement aimé le voir sur scène, tellement aimé le revoir chez Pivot ou Drucker encore une fois. Tellement aimé le croiser. J'ai été terriblement envieuse de Besancenot quand j'ai vu que Ferrat lui avait écrit un petit mot pour "Vivement Dimanche". Avoir la reconnaissance d'un type pareil, ça a de la gueule.
Je lisais quelqu'un dire qu'il perdait un deuxième père. Et c'est ce que je me disais il y a quelques semaines encore : quand Ferrat mourra, je perdrai une nouvelle fois Jojo. Parce que si Jojo adorait Brassens de prime abord, Ferrat, c'était mon lien le plus fort à Jojo. Comme je le disais plus haut, alors qu'il était en train de s'endormir tout doucement, je passais alternativement un album de Ferrat et un de chansons de Brassens réinterprétées façon jazz. Après ça, j'ai mis près d'un an avant de pouvoir être capable de réécouter le grand Jean. Mais désormais, il fait partie intégrante de ma vie.
Ah, c'est vraiment une sale nouvelle. Quelle période de merde.
Ariane
Dernière édition par heloise le Mer 17 Mar - 22:28, édité 2 fois